Les politiques industrielles et les subventions reviennent en force, en particulier dans les grandes économies telles que les États-Unis, la Chine, l'Inde, l'Allemagne et le Brésil. Les gouvernements s'impliquent de plus en plus dans la définition des priorités industrielles et soutiennent les industries stratégiques par des subventions destinées à promouvoir l'innovation et la diffusion des technologies.
Au sommaire :
- Les 2 642 mesures de politique industrielle mises en œuvre en 2023 ont été motivées par les efforts visant à garantir la compétitivité stratégique et à atténuer le changement climatique, ainsi que par l'importance croissante accordée à la sécurité nationale. La capacité budgétaire est le principal obstacle au financement de la politique industrielle. Les subventions représentaient en moyenne 0,3 % du PIB dans les économies de l'UE des 27 en 2023. Alors que de plus en plus de pays sont confrontés à des contraintes liées aux déficits budgétaires, à la dette publique et aux pressions fiscales, cela souligne la nécessité d'adopter des politiques fiscales bien pensées pour promouvoir l'innovation tout en tenant compte des distorsions économiques potentielles.
- Pour les investisseurs et les entreprises, le retour de la politique industrielle offre des gains à court terme pour certains, mais peut aussi créer des défis à plus long terme. À court terme, ce sont les secteurs liés à la transition et à la technologie qui profiteront le plus des politiques industrielles, en particulier les technologies à faible émission de carbone, les métaux (acier, aluminium et matériaux critiques), les technologies de pointe, les semi-conducteurs et les secteurs liés à la défense. Les entreprises devraient bénéficier d'une augmentation significative de leur rentabilité : Le fabricant moyen de technologies vertes ou renouvelables pourrait voir sa marge bénéficiaire brute doubler d'ici 2025 par rapport à une situation de référence sans crédits d'impôt. La politique industrielle permettra également aux investisseurs de jouer le jeu des matières premières aux dépens des entreprises et des consommateurs. Les écarts entre l'offre et la demande de certains métaux devenant de plus en plus évidents et les risques inflationnistes menaçant, les prix augmenteront à l'avenir. Les grandes entreprises qui cherchent à financer des projets éligibles aux subventions de la politique industrielle par le biais d'obligations vertes pourraient également bénéficier de coûts de financement nettement inférieurs, car les politiques industrielles pourraient réduire les risques. Toutefois, l'investissement peut finir par se transformer en surinvestissement et perdre son efficacité. De plus, la politique industrielle pourrait entraîner un effet d'éviction, les grandes entreprises se taillant la part du gâteau des recettes. Par exemple, seules sept très grandes entreprises mondiales bénéficieront de 75 % des subventions du programme CHIPS qui ont déjà été allouées (29,3 milliards d'USD).
- La politique industrielle de l'UE est confrontée à des défis car elle vise à équilibrer la transition verte et numérique, à maintenir le marché unique, à encourager l'innovation et à conserver le contrôle national sur les politiques. La stratégie industrielle de l'UE se concentre sur des secteurs clés tels que les technologies des semi-conducteurs, l'hydrogène, les données industrielles, les lanceurs spatiaux et l'aviation sans émissions, afin d'atteindre des objectifs tels que la production de 10 millions de tonnes d'hydrogène vert d'ici 2030 et l'obtention d'une part de 20 % du marché mondial des puces électroniques. Les projets transfrontaliers de l'UE sont soutenus par 80 milliards d'euros d'investissements approuvés dans les secteurs des puces, des batteries et de l'hydrogène, tout en allouant 32,6 % du budget total de l'UE entre 2021 et 2027 aux technologies du climat. Cependant, la neutralité technologique de la politique industrielle de l'UE a conduit à un soutien moins ciblé des technologies innovantes par rapport aux États-Unis. À l'avenir, les décideurs politiques de l'UE devraient principalement cibler les pays dont les émissions sont élevées et dont les prix du carbone se situent juste au niveau ou en dessous du prix de l'EU ETS (European Emissions Trading System) de 61,3 USD, tels que l'Allemagne, la France, l'Espagne, l'Italie ou la Pologne. Pour atteindre la compétitivité stratégique, les objectifs climatiques et les chaînes d'approvisionnement résilientes, l'accent devrait être mis sur l'industrie, l'approvisionnement en énergie et l'agriculture.
- Dans ce contexte, nous soutenons que l'UE doit concevoir des politiques intelligentes, horizontales, conditionnelles et complémentaires qui l'aident à aller de l'avant au lieu de courir après les États-Unis et la Chine. L'Union devrait (i) se concentrer sur les politiques horizontales, en concevant une politique de mobilité plutôt qu'une politique autonome en matière de véhicules électriques, par exemple ; (ii) coordonner les politiques en tenant compte des spécialisations des États membres et en tirant parti des complémentarités entre les pays et les secteurs ; (iii) mettre en œuvre des conditions strictes en matière de durabilité et de contenu national des projets avant de débloquer des aides publiques, sans accroître les formalités administratives, (iv) veiller à ce que les décideurs politiques soient tenus responsables des politiques industrielles au moyen d'indicateurs clés de performance pertinents et concevoir des politiques avec de multiples parties prenantes, y compris les scientifiques et la société civile, (v) placer l'écosystème de l'innovation au centre et penser "deux pas en avant" au lieu de courir après les États-Unis et la Chine et (vi) partager les risques et les bénéfices avec le secteur privé au moyen d'une politique industrielle mixte (PPS, financements mixtes).