On se souvient que la norme IAS 39, connue jusque-là des seuls spécialistes, bénéficia subitement au cœur de l’été 2004 d’une notoriété inattendue lorsque Jacques Chirac, alors président de la République, s’alarma publiquement du risque que comportait cette norme de « conduire à une financiarisation accrue de notre économie et à des méthodes de direction des entreprises privilégiant trop le court terme ».
Des propos prémonitoires mais qui ne furent pas vraiment suivis d’effet … jusqu’à l’éclatement de la crise financière de 2008-2009. Dès lors, les jours d’IAS 39 étaient comptés, même s’il aura fallu près d’une décennie pour lui substituer une nouvelle norme plus pertinente en matière de comptabilisation des pertes.
Pourquoi une telle norme ?
Hans Hoogervorst, président de l’IASB – l’organisme de normalisation en charge du référentiel IFRS, dont on rappellera qu’il ne s’applique pas aux Etats-Unis, a expliqué lors de l’adoption d’IFRS 9 que cette norme introduisait des améliorations hautement nécessaires en matière de comptabilité des instruments financiers et poursuivait un objectif de stabilité financière avec une nouvelle approche de long terme. « IFRS 9 renforcera la confiance des investisseurs à l’égard des bilans des banques et du système financier dans son ensemble. »
La crise financière de 2008-2009 avait mis en évidence la reconnaissance tardive des pertes de crédit de la part des banques. La norme de comptabilisation des pertes en vigueur fut jugée « too little, too late » : trop peu de pertes de crédit identifiées à un niveau trop tardif !
Il revint alors à l’IASB de réformer les règles d’estimation des pertes à la demande des gouvernements du G20 et des organismes de régulation et de supervision, afin de répondre aux imprécisions et difficultés que ces règles entraînaient. Une nouvelle notion a fait son apparition : les provisions sur les pertes de crédit attendues pour la dépréciation d’actifs financiers (« Expected Credit Losses » ou ECL).
Un chantier de grande ampleur qui concerne évidemment en priorité les banques et les institutions financières, mais dont les entreprises doivent également tenir compte, puisque la plupart se retrouvent en situation de prêteur en ouvrant des encours à leurs clients réguliers.
Les grandes lignes d’IFRS 9
Les améliorations apportées par IFRS 9 incluent :
- une approche unique pour la classification et l’évaluation des actifs financiers, qui reflète le modèle économique dans le cadre duquel ils sont gérés, ainsi que leurs flux de trésorerie contractuels,
- un modèle unique de dépréciation, prospectif, fondé sur les « pertes attendues »,
- une approche sensiblement réformée de la comptabilité de couverture.
Classification et évaluation
IAS 39 comprenait différentes catégories de classification et modèles de dépréciation. IFRS 9 introduit une approche logique et unique de classification pour tous les actifs financiers, soit au coût amorti, soit à la juste valeur, y compris pour les actifs financiers qui comportent un dérivé (l’actif financier est alors classé dans son intégralité plutôt que d’être soumis à des règles complexes de décomposition). L’approche est fondée sur des principes plutôt que sur des règles comme dans IAS 39, complexes et difficiles à appliquer.
Le business model de l’entité pour la gestion des actifs financiers et les caractéristiques des flux de trésorerie contractuels de l’actif financier deviennent des critères essentiels.
L’objectif du modèle économique peut se limiter à détenir des actifs financiers pour encaisser des flux de trésorerie contractuels (l’actif financier est évalué au coût amorti), ou consister non seulement à détenir des actifs financiers pour encaisser des flux de trésorerie contractuels, mais aussi à vendre des actifs financiers (l’actif financier est alors évalué à la juste valeur par le biais des autres éléments du résultat global). Les actifs financiers qui ne sont détenus dans le cadre d’aucun de ces deux modèles économiques sont évalués à la juste valeur par le résultat.
En matière de passifs financiers, les dispositions contenues dans IAS 39 demeurent inchangées : la plupart des passifs continueront à être évalués au coût amorti. Des aménagements ont cependant été effectués pour réduire la volatilité du compte de résultat liée aux variations de juste valeur résultant du risque de crédit propre, lorsqu’une entité a opté pour la juste valeur dont le résultat est contre-intuitif.
Dépréciation
Le modèle IAS 39 (pertes encourues) repoussait la reconnaissance des pertes de crédit jusqu’à la survenance d’un événement. Sa complexité, basée sur de multiples modèles de dépréciation, était pointée du doigt.
Le nouveau modèle de dépréciation instaure une reconnaissance plus rapide des pertes de crédit prévues. Elles sont comptabilisées pour toute la durée de vie du prêt sur une base plus régulière.
Comptabilité de couverture
Informations accrues sur l’activité de gestion des risques, alignement du traitement comptable des couvertures sur les activités de gestion des risques : IFRS 9 entraîne ici aussi des changements importants, visant à permettre aux entités de mieux rendre compte de ces activités dans leurs états financiers.
Interactions entre Bâle 3 et IFRS 9
Il existait une déconnection totale entre les approches prudentielles de Bâle 2 sur les pertes estimées et le cadre comptable d’IAS 39 sur les pertes encourues. L’approche d’IFRS sur les pertes attendues, similaire à celle du comité de Bâle, permet une mise en commun des deux référentiels, fondée sur des définitions communes et l’utilisation de modèles d’indicateurs de risque de crédit (probabilité de défaut, perte en cas de défaut, facteur de conversion du crédit).
Pour assurer la cohérence entre les estimations des pertes attendues selon IFRS 9 ou dans le cadre des règles de Bâle, les sources de données des deux approches devront être identiques. Néanmoins, les critères d’éligibilité à un calcul de provisions comptables pourront varier de ceux appliqués aux encours réglementaires bâlois. Exemple : l’exposition tiendra compte dans IFRS 9 des hypothèses de remboursements anticipés, contrairement à Bâle 3 qui ne prend pas en compte l’amortissement.
Vous êtes concerné par IFRS 9 si…
- Vous détenez des titres dans la perspective de dégager une plus-value de cession
- Vous avez des créances clients significatives dans votre bilan
- Vos dettes financières sont couvertes contre le risque de taux
- Vous achetez ou vendez des produits indexés sur une matière première
- Vous couvrez votre exposition au risque de change
- Vous avez renégocié des dettes financières n’ayant pas conduit à une extinction