Le secteur de l’immobilier résidentiel est un contributeur majeur des émissions de gaz à effet de serre en Europe, souvent sous-estimé. Décarboner les logements est essentiel pour atteindre la neutralité carbone, mais elle présente des défis complexes en raison de la vétusté du parc immobilier de la région, des coûts de rénovation élevés et de la fragmentation des structures existantes. Dans la majorité des économies européennes (Allemagne, France, Italie, Espagne et Pays-Bas), les émissions directes des habitations représentent de 7 % (Espagne) à 14 % (Allemagne) des totaux nationaux, au même niveau que les émissions industrielles, voire les dépassant. Quand les émissions indirectes sont incluses, cette part peut doubler, soulignant l’impact climatique systémique du secteur.
Douleur à court-terme, gain à long-terme : Dans un scénario de neutralité carbone, les prix des maisons pourraient augmenter de 10 bps (France) à 50 bps (Allemagne). Ainsi en 2030, la taxe carbone dans le secteur de l’immobilier devrait augmenter en moyenne de 80% par rapport au scénario envisagé le plus probable (à mi-chemin entre les deux scénarios « Below 2°C » et « NDCs » du NGFS), en raison d’émissions toujours élevées combinées à des prix du carbone élevés. Cependant, à mesure que les efforts de décarbonation, comme la modernisation, le changement de combustible et les améliorations efficaces, produisent leurs effets, les émissions dans l’immobilier et le niveau de la taxe carbone effective diminueront. D’ici à 2040, le secteur deviendrait plus rentable dans une trajectoire zéro carbone que dans le scénario le plus probable, ce qui réduirait l’exposition face aux futurs coûts du carbone. Cette transformation a des implications directes pour les investissements dans le secteur de l’immobilier. D’ici 2050, l’activité du marché du logement (les investissements dans la rénovation, la construction de nouveaux immeubles à haute efficacité énergétique etc.) dans le cadre du scénario zéro carbone, dépassera de 38% à 58% le scénario le plus probable dans les principales économies européennes. Par conséquent, les prix des logements devraient être supérieurs de 10 bps (France) à 50 bps (Allemagne) que ceux du scénario le plus probable.
Dans le cadre d’une transition du secteur de l’immobilier vers la neutralité carbone, le PIB pourrait augmenter de 120,7 milliards d’euros en Allemagne, 39,4 milliards d’euros en Italie, 26,3 milliards d’euros aux Pays-Bas, 25,8 milliards d’euros en France et 12,3 milliards d’euros en Espagne. Alors que les premières années (2030-2040) enregistrent seulement des gains modestes en valeur ajoutée brute (VAB) du secteur immobilier, environ 5% au-dessus du scénario le plus probable, la situation change nettement à partir de 2040 avec la baisse des coûts opérationnels, l'augmentation de la demande et l’amélioration de l’efficacité énergétique. Entre 2041 et 2050, la valeur ajoutée brute de l’immobilier devrait dépasser la base de référence de 20-30%, surtout en Espagne et aux Pays-Bas. Au total, le secteur pourrait générer près de 1 000 milliards d’euros de valeur supplémentaire en Allemagne seulement d’ici 2050. La transition agit également comme un moteur de l'emploi, avec une augmentation de 9% des emplois dans le secteur immobilier selon la trajectoire zéro net, ce qui représente plus de 345 000 nouveaux emplois dans les cinq plus grandes économies européennes (106 600 emplois supplémentaires dans l'immobilier en Allemagne, 98 300 en France, 70 800 en Espagne, 52 400 en Italie et 16 800 aux Pays-Bas). Globalement, la transition du secteur de l’immobilier vers la neutralité carbone pourrait réduire le taux chômage en moyenne de 0,2 points de base et augmenter le PIB de 120,7 milliards d’euros en Allemagne, 39,4 milliards d’euros en Italie, 26,3 milliards d’euros aux Pays-Bas, 25,8 milliards d’euros en France et 12,3 milliards d’euros en Espagne.
Atteindre les objectifs de neutralité carbone d’ici 2050 nécessitera un investissement substantiel d’environ 3 000 milliards d’euros dans des rénovations énergétiques cumulées à travers les quatre plus grandes économies du continent. Cela équivaut à un investissement annuel d’environ 121 milliards d’euros. Les montants d’investissement requis varient considérablement selon les pays en raison des différences climatiques, de l’âge des bâtiments et des niveaux d’efficacité énergétique existants. Avec la demande la plus élevée, l’Allemagne requiert 1 382 milliards d’euros seulement pour le secteur résidentiel, auxquels s’ajoutent 103 milliards d’euros pour les propriétés commerciales. La France suit avec un besoin d’investissement estimé de 936 milliards d’euros d’ici 2050. En revanche, l’Italie et l’Espagne, qui disposent d’un parc immobilier plus réduit et des profils de consommation énergétique plus favorables, présentent un besoin d’investissement cumulé moindre, s’élevant à 604 milliards d’euros.
Les économies énergétiques ne suffisent pas à payer les factures de rénovations. Des prix du carbone plus élevés sont cruciaux, mais irréaliste. En supposant que les rénovations soient conformes à une trajectoire à 1,5°C, les économies d’énergies sur une période de 20 ans pourraient réduire les dépenses globales de 41 à 77%, entraînant des coûts nets actualisés de 677 milliards d’euros en Allemagne et de 80 milliards d’euros en Espagne. Alors que les économies d’énergie fournissent une aide financière, elles ne peuvent pas à elles seules inciter à l’augmentation nécessaire de l’activité de la rénovation. Les prix du carbone doivent jouer un rôle central pour combler le déficit d’investissement. Notre analyse de différents scénarios de prix carbone indique que seuls des niveaux de prix plus élevés, projetés à environ 350 EURO/tCO2 d’ici 2035, peuvent compenser effectivement les dépenses initiales nécessaires. Toutefois, de tels niveaux de prix semblent politiquement et socialement infaisables.
Résoudre le dilemme de l’immobilier climatiquement neutre nécessite une combinaison de mesures d’augmentation comprenant des prix du carbone plus élevés, un soutien financier ciblé et des dispositifs politiques renforcés. Il est essentiel de combler les lacunes en matière de financement et d'incitation, car les économies de coûts actuelles et la tarification prévue des émissions pourraient ne pas suffire à couvrir les coûts d'investissement initiaux élevés. La mise en place de guichets uniques accessibles, offrant des conseils personnalisés et un soutien financier, ainsi que des programmes de certification accélérée pour les métiers clés, peut aider à lever les obstacles et à accélérer les efforts de rénovation. Du côté de l'approvisionnement énergétique, des calendriers contraignants pour la suppression progressive des chaudières à combustibles fossiles, ainsi que des subventions ciblées pour les pompes à chaleur, sont essentiels pour favoriser la transition vers des solutions énergétiques plus propres. Les décideurs devraient permettre une hausse plus rapide du prix du carbone afin de réduire le recours à des mesures qui faussent le marché, comme des interdictions ou des subventions. Dans ce contexte, une communication claire et en temps voulu est cruciale pour permettre aux parties prenantes de s’adapter efficacement et d’investir dans les rénovations nécessaires.